Nespresso®
le MacDonald du café

 

par Lucia Mastroberti

 


Le paradoxe de notre société est que l’on arrive à croire qu’un produit industriel peut être mieux qu’un produit artisanal. Beaucoup de gens avec lesquels je parle pensent sincèrement que le meilleur café aujourd’hui disponible sur le marché est cette capsule reproduite en milliers d’exemplaires, au goût toujours égal à lui-même.

La publicité, c'est l'art de stopper l'intelligence humaine assez longtemps pour lui soutirer de l'argent, comme le disait si bien Stephen Leacock. Eh bien, cette publicité arrive aujourd’hui à nous faire avaler qu’une capsule Nespresso®, reproduite en milliers, sinon millions d’exemplaire, à travers une machine Nespresso® au design captivant, devient le meilleur café qu’on puisse goûter à la maison. Pourquoi ? Mais parce que la capsule unique Nespresso® garde intacts tous les arômes du café !

C’est drôle comme on oublie tout le reste.

On oublie, par exemple, que rien ne vaut les arômes d’un café fraîchement torréfié et fraîchement moulu (ne me dites pas que dans une capsule en plastique et alu, après 12 mois de stockage, c’est la même chose !)

On oublie l’impasse dans laquelle on se met : même si un jour on avait envie d’autre chose, on ne pourrait pas car la machine que l’on a achetée ne marche qu’avec des capsules. Des capsules Nespresso®, bien évidemment.

On oublie l’impact écologique de ces capsules (l’alu met jusqu’à cent ans pour se biodégrader).
On oublie que derrière, c’est Nestlé, avec ses logiques de marché étouffantes, qui impose ses prix aux producteurs pour revendre cent fois plus cher, qui condamne à l’étranglement des centaines de petits producteurs.

 

Mais surtout on oublie la poésie. Moi, qui viens de Naples, je sais de quoi je parle. La poésie des petits gestes précis, appris en famille ou par les amis, qui font un « bon café ». La poésie d’aller acheter ses grains dans une petite boutique de torréfaction qui répand son odeur magique dans les rues avoisinantes. De les moudre à la maison, toujours par petites quantités. La poésie du savoir-faire, enfin si le café est si bon c’est aussi notre mérite. La poésie, et pourquoi pas ? de rater parfois son café.

« Je pourrais renoncer à tout sauf à ma tasse de café, savourée tranquillement sur mon balcon, après la petite sieste que l’on se fait après le déjeuner. Et le café j’aime le préparer moi-même, de mes mains. (…) Ma femme, vous savez, elle est beaucoup plus jeune que moi, certaines choses elle ne les comprend pas. Les nouvelles générations ont perdu ces habitudes qui, à mon avis, sont la poésie de la vie car, en plus de nous faire passer le temps, elles nous donnent aussi une certaine sérénité d’esprit. »

« Io, per esempio, a tutto rinuncierei tranne a questa tazzina di caffè, presa tranquillamente qua, fuori al balcone, dopo quell'oretta di sonno che uno si è fatta dopo mangiato. E me la devo fare io stesso, con le mie mani. (…) mia moglie queste cose non le capisce. E' molto più giovane di me, sapete, e la nuova generazione ha perduto queste abitudini che, secondo me, sotto un certo punto di vista sono la poesia della vita; perché, oltre a farvi occupare il tempo, vi danno pure una certa serenità di spirito.»

Voilà ce qu’il raconte à un voisin depuis son balcon, le protagoniste de la pièce « QUESTI FANTASMI » (CES FANTOMES) écrite en 1946 par Edoardo De Filippo auteur et comédien de théâtre qui incarne toute l’âme du peuple napolitain

Kfé du matin (c) Laurent Kohler

« La capsule Nespresso®, dit le marketing, garantit la préparation parfaite et constante de votre espresso. » Mais c’est quoi cette histoire ?! Le monde des saveurs, pour sa nature, est un monde en évolution, fait de suspense et de surprise : imaginez que tout à coup le gâteau de votre grand-mère, le plat mijoté de votre père, aient toujours la même saveur identique… Où serait le plaisir ? Imaginez qu’il n’existe pas de tomates meilleures que d’autres, de gigots d’agneau plus savoureux que d’autres… Ce serait le royaume de l’industriel parfaitement installé sur terre, et alors plus besoin d’aller chercher son gigot chez tel producteur, de profiter des tomates quand on va en vacances dans le Midi. Il suffirait de passer au micro-ondes le même plat surgelé. Quelle horreur !

 

Et pourtant notre société va bien vers l’uniformisation des goûts : les restaurants servent des plats sous vide achetés chez Métro qu’il suffit de réchauffer et de nouveaux MacDonald ouvrent chaque année en France (40 en 2003). MacDonald, le symbole du nivellement du goût.

D’autres analogies avec Nespresso® sont possibles :

  • Un gage de fraîcheur : le hamburger invendu finit à la poubelle après 10 minutes, tout comme la capsule bleue ou orange garantit des arômes intacts pendant 12 mois;

  • La masse de déchets que ça génère : quand on a terminé, on jette son emballage (qui bien sûr n’est jamais recyclable) et on n’y pense plus ;

  • L’industrialisation de la préparation et l’inutilité de tout savoir-faire;

  • Les grands noms avec leurs logiques de marché écrasantes;

  • La destruction de tout rituel autour du plaisir que ça pourrait représenter;

  • La vitesse, de toute façon on est pressés, on met la capsule dans la machine et c’est parti.

Ah, oui, il y a quand même une différence, je suis d’accord avec vous : MacDonald ça empeste de sa puanteur immonde tout le quartier, alors que dans les magasins Nespresso® on ne sent rien du tout. Si en plus on commande ses capsules sur Internet (ce qu’ils conseillent eux-mêmes, ça leur évite d’employer des gens), alors là, le parfum du café ce n’est même pas la peine d’en parler…

 

Merci à Laurent Kohler pour son beau dessin.
Octobre 2006

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